Charles
II, roi de Navarre et comte d’Evreux (Evreux 1332 - Pampelune 1387), était
fils de Philippe III roi de Navarre de jure uxoris et comte d’Evreux, et de
Jeanne II, reine de Navarre, fille de Louis X le Hutin, roi de France et de
Navarre. Il devint comte d’Evreux en 1343, au décès de son père, et succéda
au trône de Navarre à la mort de sa mère en 1349.
Seule
enfant vivante du roi Louis X le Hutin, sa mère Jeanne aurait dû hériter du
royaume de France à la mort ce dernier 1316. Contrairement à une idée
aujourd'hui répandue, la loi salique était alors ignorée de tous. Il n'y
avait pas de règle de succession établie et, à l'instar des autres royaumes
européens (Angleterre, Castille, Navarre, Portugal...), la couronne aurait dû
se transmettre à Jeanne. Mais celle-ci était âgée de cinq ans. Ce n'est pas
la loi salique qui en décida autrement, mais la position politique du comte de
Poitiers Philippe - le futur Philippe V le Long - qui se fit nommer régent à
la mort de Louis X, puis roi à la mort de son fils Jean Ier le Posthume, qui ne
vécut que quelques jours.
L'opposition de certains nobles qui soutenaient Jeanne, en particulier Eudes IV de Bourgogne, ne résista pas aux compensations concédées par le nouveau roi, qui offrit notamment sa fille à Eudes IV. Après la mort sans fils de Philippe V (1322) puis celle de son frère Charles IV (1328), la branche des capétiens directs s'éteignit. Jeanne ne recouvra pas pour autant le royaume de France, qui passa à des cousins éloignés, les Valois.
En
1328, Jeanne parvint à recouvrer le trône de Navarre, issu de sa grand-mère
Jeanne Ière et auquel les Valois ne pouvaient prétendre. Les rois suivants,
Philippe V, Charles IV, Philippe VI, s’approprièrent par divers traités les
biens qui revenaient à Jeanne, la Brie et la Champagne, ainsi que le comté
d'Angoulême. Cette spoliation dura jusqu'à la mort de Jeanne en 1349 et causa
un fort ressentiment chez son fils Charles II de Navarre.
Roi
de Navarre en 1349, Charles II fut couronné à Pampelune en 1350. Peu après
son arrivée au trône, il revendiquera la restitution de la Brie et de la
Champagne. En 1352, pour l’apaiser et le neutraliser, le roi Jean II dit
« le Bon », lui donnera en mariage sa fille Jeanne, seulement âgée
de neuf ans.
Se
considérant toujours spolié, Charles II vit rouge lorsque Jean II le Bon
commit l’erreur de donner à son favori et connétable, Charles de la Cerda,
dit Charles d'Espagne, le comté d’Angoulême, qui revenait à Charles II.
Insulté par celui-ci et excédé par les faveurs dont il faisait l’objet,
Charles II mena une expédition qui conduisit à l’assassinat de Charles d’Espagne
le 8 janvier 1354.
Afin
de se protéger des représailles de Jean II, Charles II demanda l’appui des
Anglais. Jean II le Bon du négocier, et céda à Charles II au traité de
Mantes, le 22 février 1354, le clos du Cotentin, Pont-Audemer,
Beaumont-le-Roger, Conches-en-Ouche et Breteuil-sur Iton et leurs terres.
L'Histoire a retenu que le roi de France Jean II n'avait jamais pardonné à Charles II de Navarre l'assassinat de son favori Charles d'Espagne. Mais elle est restée bien plus discrète sur la tentative d'assassinat de Charles II et de ses frères Philippe et Louis de Navarre sur ordre de Jean II dit « le Bon » et de son conseil en août 1354. Jean II et son conseil décidèrent que les trois frères de Navarre seraient assassinés à l'occasion s'un dîner royal auquel ils étaient conviés. Mais Charles II fut averti et la tentative échoua.
Jean II rongea son frein, mais, le 5 avril 1356, il put s’assurer de la personne de Charles II en l’arrêtant, à l’occasion d’un dîner au château de Rouen auquel il avait convié la fine fleur de la noblesse normande. Charles II fut emprisonné et ses proches, le comte d'Harcourt, Malet de Graville, Maubué de Mainemares et l'écuyer Colin Doublel, qui avait tenté de protéger son roi, furent exécutés sans jugement le jour même à Rouen.
Parmi
les invités à ce repas, Philippe de Navarre et Godefroy d'Harcourt, avaient préféré
rester à l’écart et ne pas s’y rendre. Lorsqu’ils furent avertis, ils
envoyèrent des lettres de défi à « Jean de Valois, qui se dit roi de
France », le menaçant d'une guerre mortelle. Ce qu’ils firent, avec
l’aide des Anglais, qui ne ratèrent pas l’occasion d’intervenir à
nouveau en France.
C’est
ainsi qu’en juillet 1356, Philippe de Navarre pénétra en Normandie avec des
troupes de Normands, de Navarrais et une troupe du duc de Lancaster. La chevauchée
dura trois semaines. Rentré en Angleterre, il rendit hommage au roi Edouard
III, avec Godefroy d'Harcourt. Les deux hommes revinrent à Cherbourg, pendant
que le prince de Galles - fils d'Edouard III - entama une autre chevauchée
partant de Bordeaux. C'est au cours de celle-ci que le prince de Galles
rencontra l'armée française à Poitiers le 19 septembre 1356.
A la
bataille de Poitiers l'armée française, pourtant supérieure en nombre, fut défaite
et le roi de France Jean II fut fait prisonnier. A ce moment, France et Navarre
eurent simultanément leurs rois dans les geôles d'un de leurs adversaires. Les
Anglais demandèrent la somme astronomique de 4 millions d'écus en échange de
la libération de Jean II. Celui-ci paya de sa liberté sa mauvaise gestion de
l'affaire navarraise, et mourut captif à Londres en 1364.
Quant à Charles II, il évolua de prison en prison, à Château Gaillard, Paris, Crèvecoeur et Arleux-en-Palluel. C'est dans cette dernière qu'il fut libéré le 8 novembre 1357 par des nobles picards et navarrais. Une fois libéré et alors que le roi de France était captif des Anglais, Charles II allait s'intéresser de près à la politique française.
L’année 1358 fut décisive, tant pour Charles II que pour l’avenir de la lignée royale française. Charles II allait en effet s’approcher à deux doigts du pouvoir en France, face à un Jean II prisonnier des Anglais, et un régent – le futur Charles V – ne disposant que d’un pouvoir diminué. Après sa libération de la prison d'Arleux-en-Palluel, Charles II revint à Paris afin de récupérer ses biens et en premier lieu ses terres de Normandie. L’époque était alors fort troublée. Etienne Marcel cherchait alors à s'imposer au Régent. Lui et Charles II avaient des raisons d'être alliés, bien que chacun poursuivit un but différent : Etienne Marcel souhaitait se servir de Charles II pour asseoir le pouvoir de la bourgeoisie, alors que Charles II cherchait à reformer des alliances, notamment avec les Anglais, et avait besoin de temps.
En
mai intervint une révolte paysanne - la Jacquerie - qui vit dans les environs
de Paris la paysannerie et une certaine bourgeoisie s'en prendre aux nobles,
dont beaucoup furent massacrés. Devant l'inaction du Régent, Charles II
intervint et réprima la révolte avec la plus extrême sévérité, devenant
ainsi l'homme fort du royaume et le premier des nobles. Auréolé de prestige,
il entra dans Paris et, le 15 juin 1358, prononça un discours à l'hôtel de
ville de Paris devant une foule nombreuse, qui le nomma "capitaine de
Paris".
En
cet été 1358, il fut ainsi à deux doigts de s'emparer de la couronne de
France. Mais ce jeu d'équilibre entre noblesse, bourgeoisie, la population et
les Anglais était par trop délicat. La situation lui échappa dès fin juin.
L'assassinat d'Etienne Marcel le 31 juillet, consacra finalement la victoire du
Régent. Charles II signa un accord avec les Anglais, se plaça à l'écart de
Paris et assiégea la ville. Depuis Londres, Jean II finit par accepter les
conditions des Anglais. Il leur restutuerait des terres, notamment la Guyenne et
la Gascogne, et s’acquitterait du montant faramineux de 4 millions de deniers
d’or. En parallèle, le traité de Pontoise fut également signé entre le Régent
et Charles II, accordant notamment des rentes à ce dernier.
La
situation s’apaisa ainsi en 1359, Charles II ayant partiellement obtenu
satisfaction. Fin 1361, il rentra en Navarre.
A
peine Charles II était-il retourné en Navarre que, le 21 novembre 1361, le duc
de Bourgogne Philippe de Rouvres décédait sans descendance légitime. Sa
succession était complexe car il ne laissait ni enfants, ni frères et soeurs,
ni parents, ni oncles. Selon les règles de primogéniture traditionnelles, son
héritier était le roi de Navarre Charles II, descendant de l'aînée des
soeurs de son grand-père Eudes IV. Mais le roi de France Jean II ne l'entendait
pas ainsi : profitant du départ de Charles II pour la Navarre, il s'arrogea le
duché de Bourgogne, qu'il annexa.
Les
protestations à distance de Charles II de Navarre n'y firent rien, et ce même
avec l'intercession du pape Urbain V. Devant l'impasse diplomatique, Charles II
profita d'une accalmie sur le front espagnol. Il recruta des troupes dont
certaines furent envoyées en Normandie. Mais l'évènement déclencheur de la
guerre franco-navarraise de 1364 n'est pas clairement connu.
Le 8 avril 1364, Jean II décéda de maladie à Londres. Son fils, Charles V, n'avait pas attendu l'issue fatale pour asseoir sa position et mener une offensive contre le roi de Navarre. Dès le 7 avril, la ville de Mantes, propriété de Charles II, avait été conquise par Du Guesclin, suivie de Meulan le 11. Les deux villes furent pillées et une partie de leurs habitants massacrés, ainsi que le rapportent les chroniques de l’époque.
Des
troupes de Charles II avec à leur tête le captal de Buch, l'un des plus
brillants stratèges de son temps (c'est sous son commandement que les Anglais
avaient défait Jean II à Poitiers en 1356) arrivèrent à Cherbourg le 10
avril. Navarrais et Français assemblèrent leurs troupes chacun de leur côté,
jusqu'au 15 mai, lorsqu'ils furent en contact à Cocherel, à l'est d'Evreux. La
bataille décisive se déroula le 16 mai 1364.
Les
Navarrais, dirigés par le captal de Buch, s'étaient retranchés sur une
hauteur difficilement prenable, aujourd'hui nommée le bois de la Ronce. L'armée
française, dirigée par Du Guesclin, se trouvait en contrebas, adossée à
l'Eure. Les effectifs de part et d'autre étaient relativement modestes, entre
2000 et 4000 hommes dans chaque camp. Mais dès le matin, il apparut aux
Navarrais que les Français étaient peut-être une fois et demi plus nombreux
qu'eux. En cette chaude journée, les Français étaient à cours de vivres,
contrairement aux Navarrais, et devaient agir rapidement, d'autant que les
Navarrais attendaient du renfort. La stratégie navarraise fut d'attendre que
les Français prennent le risque de gravir la colline pour les attaquer, auquel
cas la victoire aurait facilement été navarraise.
Du
Guesclin ne voulait pas prendre ce risque. A la mi-journée, il feignit une
retraite et fit retraverser l'Eure à quelques troupes. Les Navarrais et le
captal de Buch à leur tête décidèrent de s'en tenir à leur position forte.
Mais un désaccord intervint et le corps commandé par Jean Jouel, un Anglais,
descendit de la colline pour aller au combat. Les autres corps navarrais décidèrent
de ne pas le laisser seul et descendirent également.
La
stratégie de Du Guesclin avait fonctionné: il fit demi-tour et put affronter
les Anglo-Navarrais en terrain favorable. Le combat s'engagea. Bientôt, un détachement
d'une trentaine de cavaliers d'élite traversa les lignes et s'empara de la
personne du captal de Buch. Les Anglo-Navarrais furent rapidement désorganisés.
Dans l'après-midi, la victoire était française. A Mantes, Meulan et Cocherel,
Charles V déroula sa politique d'élimination et fit exécuter de nombreux
chefs navarrais.
En
cette année 1364, le roi de Frace avait définitivement pris le dessus sur le
roi de Navarre.
En
1371, un traité de paix avait été signé à Vernon entre la France et la
Navarre, aux termes duquel Charles V devait restituer Montpellier à Charles II
– en compensation de Mantes, Meulan et Longueville – et le laisser jouir de
ses possessions en Normandie, comté d'Evreux et Cotentin.
Mais
Charles V ne l'entendit pas de cette oreille. Il fit obstacle par tous les
moyens à l'installation des Navarrais à Montpellier, avec l'aide de son frère
le duc d'Anjou, ancien propriétaire des lieux qui n'avait jamais digéré d'être
obligé de les céder à Charles II.
Plus
gênant, Charles V entama une reconquête souterraine de la Normandie. Le
Cotentin, possession de Charles II, était un gruyère où Français et Anglais
avaient aussi des droits. Le roi d'Angleterre possédait
Saint-Sauveur-le-Vicomte, d'où il mettait à sac la région, et Charles V possédait
Bricquebec et s'appuyait sur de puissantes familles locales comme les Paisnel.
Les abbayes et prieurés qu'il possédait lui servirent pour étendre ses droits
dans les communes voisines, puis ensuite à interdire la collecte des impôts
par les officiers navarrais.
Charles
II tenta des recours diplomatiques à partir de décembre 1375, en envoyant ses
enfants en Normandie pour réaffirmer sa présence, puis en adressant des doléances
au roi de France. D'intenses discussions eurent lieu de juillet 1376 à juillet
1377. L'importance de ces négociations diplomatiques n'a été redécouverte
que récemment par les historiens.
Mais
le but de Charles V était de s'approprier les biens du roi de Navarre. Il resta
sourds aux demandes des diplomates. La voie était ouverte pour la guerre de
1378.
Devant
la reconquête souterraine de ses biens entamée par le roi de France, Charles
II avait repris contact avec les Anglais. Le roi Edouard III était mort à l'été
1377 et son petit-fils, le jeune Richard II, lui avait succédé. Charles II
entama des pourparlers afin qu'il épouse l'une de ses filles, Blanche de
Navarre.
Charles
V était alors en position de force face à l'ennemi anglais. Il se servit de
divers prétextes pour s'en prendre à Charles II : alliance avec les Anglais,
tentative d'empoisonnement, intervention militaire navarraise en Normandie... En
mars 1378, il fit arrêter Jacquet de Rue, chancelier de Charles II, puis peu
après l'infant Charles, son fils et futur Charles III de Navarre. On fit avouer
à Jacquet de Rue une prétendue tentative d'empoisonnement contre Charles V et
de nombreux autres faits, qui servirent de prétexte à une intervention française
dans les terres normandes de Charles II. En avril, Pierre du Tertre, secrétaire
et conseiller de Charles II, à son service depuis 26 ans, fut arrêté à son
tour par Du Guesclin, qui lui promit la vie sauve en échange de sa reddition.
On interrogea longuement les deux hommes, puis ils furent exécutés, leurs têtes
exposées aux Halles et leurs corps au gibet de Montfaucon.
Toutes
les places normandes de Charles II furent conquises par Du Guesclin et Philippe,
duc de Bourgogne et frère du roi de France, entre avril et juillet 1378. Ce fut
une des premières guerres mécanisées et de nombreux engins de jet furent
utilisés pour assiéger les villes. Evreux, Breteuil, Bernay, Anet,
Pacy-sur-Eure, Nonancourt, Beaumont-le-Roger, Gavray, Avranches, Carentan,
Valognes, Regnéville et toutes les places d'importance tombèrent une à une.
Seule Cherbourg resta aux mains des Navarrais. Bien protégée par ses murailles
et ayant reçu les renforts des troupes venues des villes conquises ainsi que
des Anglais, elle devint inexpugnable. Peu après, les Anglais évincèrent les
Navarrais et s'emparèrent de la ville.
Une
analyse de certaines lettres d'époque montrent que Charles V et Henri II de
Castille s'étaient entendus depuis février 1378 au moins, à l'instigation du
duc d'Anjou. Les prétendus aveux de Jacquet de Rue ne furent qu'un prétexte
pour la conquête.
En cette année 1378, c’en était fini des possessions de Charles II en France. Egalement attaqué par le roi de Castille, il ne lui restait qu’à se replier en Navarre.
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