Marguerite de Bourgogne, née vers 1290, était fille du duc Robert II de Bourgogne et d'Agnès de France, elle-même fille du roi Saint Louis. Elle avait plusieurs frères et soeurs, Blanche de Bourgogne (mariée à Edouard de Savoie), Jeanne de Bourgogne (mariée au futur Philippe VI de Valois), Hugues de Bourgogne (mort en 1315, duc de Bourgogne), Eudes IV de Bourgogne (qui succède au précédent comme duc de Bourgogne), Marie (mariée à Edouard, comte de Bar) et Louis de Bourgogne (mort en 1316 sans descendance).
Le
23 septembre 1305, elle épouse le fils aîné de Philippe le Bel, Louis, roi de
Navarre depuis avril 1305, et promis au trône de France lorsque Philippe le Bel
décédera. En plusieurs années de mariage, le couple n'a qu'une fille, Jeanne
de France, née en 1312. En novembre 1314, à la mort de Philippe le Bel, Louis
deviendra le roi de France Louis X le Hutin.
L’affaire des brus du roi
L’affaire des brus du roi Philippe le Bel nous est relatée par quelques chroniques d’époque, dont les Grandes Chroniques de France. Début avril 1314, le mardi de la semaine de Pâques , dans des circonstances que les chroniques
et documents d’époque ne mentionnent pas, Marguerite de Bourgogne, femme de Louis, roi de Navarre et futur Louis X, ainsi que Blanche de Bourgogne, femme de Charles, comte de la Marche et futur Charles IV, furent convaincues d’adultère ("fornication et avoutire sur eux mis"). Ceci avec la complicité de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe, comte de Poitiers, futur Philippe V.
Le roi Philippe le Bel se trouvait alors à l’abbaye de Maubuisson . Il ordonna que Marguerite et Blanche soient détenues et enfermées à vie dans la forteresse de Château-Gaillard. A leur arrivée, elles y furent dépouillées et rasées. La troisième bru de Philippe le Bel, Jeanne de Bourgogne, comtesse de Poitiers, était complice mais fut innocentée de l’accusation d’adultère. Elle fut condamnée à être enfermée dans la forteresse de Dourdan, d’où elle fut ensuite libérée.
Quant à leurs « amis bienveillants », il s’agissait des chevaliers Philippe d’Aunoy (aujourd’hui orthographié Aunay ou Aulnay), amant de Marguerite, et de son frère Gaultier d’Aunoy, amant de Blanche. Ils furent condamnés à être exécutés, sentence qui fut appliquée le Vendredi saint, 5 avril 1314, à Pontoise. La peine était à la hauteur du crime commis : on leur arracha la peau du corps, leurs parties génitales furent coupées, et ils furent pendus à un gibet spécialement construit à Pontoise pour l’occasion, où ils restèrent suspendus par les épaules. L’huissier de Marguerite de Bourgogne, qui avait été dans la confidence, fut également pendu au gibet de Pontoise réservé aux larrons.
Tels sont les éléments qui nous sont parvenus par les Grandes Chroniques de France et la chronique française du continuateur de Nangis . La Chronique métrique présente à peu près les mêmes éléments, mais les place en mai 1314 et non en avril. Les autres chroniques du temps sont discrètes sur le sujet.
De la réalité à la fiction
L’affaire des brus du roi a considérablement ébranlé la monarchie française, et ce d’autant plus qu’elle a été rendue publique. Elle aurait pu n’avoir que des effets limités si Philippe le Bel et ses trois fils n’étaient pas morts l’un après l’autre au cours des quinze années suivantes, par une malédiction que seuls certains romanciers ont su expliquer. Le premier fut Philippe IV le Bel, qui n’atteint pas la fin de l’année 1314, décédant le 29 novembre. Son fils et successeur au trône de France, Louis X le Hutin, déjà roi de Navarre, n’était pour lors âgé que de vingt-cinq ans.
Après coup, des rumeurs se firent jour sur une éventuelle bâtardise de la fille de Louis X le Hutin, Jeanne, celle-ci ayant été conçue trois ans plus tôt, en 1311. Il paraît toutefois peu crédible que l’adultère ait pu durer aussi longtemps sans éveiller les soupçons, dans un milieu ou chacun était un tant soit peu surveillé. Néanmoins, ces rumeurs et soupçons, faciles à diffuser, ont par la suite pu servir ceux qui co nvoitaient l’héritage de Jeanne .
Cette affaire eut également un fort retentissement au sein de la population française. Avoir vent d’un scandale impliquant les brus du roi, infidèles à leurs maris et dont les amants ont été suppliciés en place publique, ouvrait forcément la porte à toutes sortes de rumeurs et calomnies. Ainsi que le soulignait la chronique métrique, au royaume on en parlera tant que le monde durera. En effet, l’affaire ne tarda pas enflammer les imaginations d’un public avide de ce type de scandale, puis celles d’écrivains et d’historiens prompts à enjoliver et magnifier les choses.
Lorsque François Villon écrivit en 1460 sa « Ballade des dames du temps jadis », l’affaire des brus du roi remontait déjà à un siècle et demi, mais le bouche à oreille et la tradition populaire avaient fait leur œuvre : les jeunes femmes avaient l’habitude d’attirer leurs amants dans la tour de Nesle, à Paris , puis après s’être livrées à des débauches, les jetaien
dans la Seine. Trois vers de François Villon, pourtant peu explicites, consignèrent ces faits pour la postérité :
« Semblablement, ou est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust geté en ung sac en Saine ? »
Le dénommé Buridan ne nous est pas autrement connu. Le patronyme était présent à Paris, et on a voulu voir en ce personnage le philosophe Jean Buridan, pourtant décédé bien plus tard, vers 1360. Mais à partir du dix-neuvième siècle, le sujet se développa pleinement. En 1832, Alexandre Dumas publia une pièce de théâtre, « La tour de Nesle » qui consolida un peu plus encore la légende par force de détails : Marguerite de Bourgogne attirait ses futurs amants dans la mystérieuse tour de Nesle, a
bas de laquelle la Seine rejetait presque chaque jour des cadavres de jeunes hommes. Buridan, ancien amant ayant réussi à s’échapper de la tour, avait fait chanter la reine, mais les deux avaient fini par être arrêtés.
En 1897, Henri Demesse (1854-1908) publia « Marguerite de Bourgogne », long roman de plus de 1700 pages inspiré d’Alexandre Dumas et ayant la particularité de contenir le fac-similé d’une lettre de Gauthier d’Aulnay « trouvée aux environs de Maubuisson » et « appartenant à M. Le Comte de L..., le savant et richissime collectionneur », qui est à l’évidence un faux pour quiconque a quelques notions de paléographie du quatorzième siècle.
La liste des romans est longue, jusqu’aux « Rois Maudits » de Maurice Druon, qui précisent comment l’adultère aurait été démasqué par Isabelle de France, sœur des infortunés maris, grâce à des aumônières qu’elle avait auparavant offertes à ses belles-sœurs et qu’elle aurait vues à la ceinture des chevaliers Philippe et Gauthier d’Aulnay, signes de la liaison entre Marguerite et Blanche de Bourgogne et les deux frères.
De nos jours, la diffusion foisonnante et incontrôlée de plagiats, notamment sur internet, rend difficile la distinction entre le vrai et le faux.
Le seul fait établi est que Marguerite et Blanche de Bourgogne ont effectivement été convaincues d’adultère en avril 1314, et que Philippe et Gauthier d’Aulnay ont ensuite été suppliciés.
Les autres détails, comme le rôle d'Isabelle de France, reine d'Angleterre,
les aumônières qui auraient été retrouvées à la ceinture des frères d'Aunay,
et les scènes de dépravation de la tour de Nesle ne tiennent que du roman et non de la réalité historique.
Il n'existe pas d'archive du quatorzième siècle qui permette d'en savoir plus,
ou alors elle reste à découvrir.
Mort de Marguerite de Bourgogne
La mort de Marguerite de Bourgogne nous est relatée de manière laconique par trois chroniques d’époque, les Grandes Chroniques de France, la chronique du continuateur de Nangis et la Chronique métrique.
Marguerite de Bourgogne
décéda le 30 avril 1315 dans la forteresse de Château-Gaillard, où elle était internée.
D'après la Chronique métrique, elle avait été enfermée dans une partie élevée du château, alors que Blanche
de Bourgogne se trouvait dans une partie basse. La chronique indique qu’elle mourut de maladie, vraisemblablement due aux mauvaises conditions de détention et peut-être au froid ressenti dans sa cellule.
Les vestiges impressionnants de la forteresse de Château-Gaillard (Eure), dans leur état actuel.
Son corps fut inhumé à Vernon, en l’église des Frères Mineurs, devenue par la suite l’église des Cordeliers, bâtiment aujourd’hui disparu .
Les historiens modernes ont cru utile de préciser que Louis X avait fait étrangler Marguerite de Bourgogne, certains précisant même que ce fut avec un drap, entre deux matelas ou encore avec ses propres cheveux. Le fait est que l’on ne trouve pas ces détails dans les documents d’époque.
Ce décès tomba à point nommé pour Louis X. En effet, il paraissait alors difficile d’obtenir une annulation du mariage, qui avait déjà donné une fille, l’adultère n’apparaissant plus suffisant en ce temps pour que l’Eglise prononce une annulation. En outre, une intervention du pape était impossible, puisqu’il y avait vacance du trône pontifical depuis la mort de Clément V, survenue le 20 avril 1314. Il n’est pas diffi cile d’imaginer que la mort de Marguerite de Bourgogne était alors la seule solution permettant à brève échéance un remariage du roi, et que beaucoup avaient intérêt à une conclusion rapide des choses à Château Gaillard. Louis X « le Hutin » put épouser Clémence de Hongrie trois mois et demi plus tard, le 19 août 1315. Au printemps 1316, elle commença à ressentir les signes d’une future maternité : le roi Louis X allait peut-être enfin pouvoir assurer sa succession en ligne masculine.
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